Michèle Matteau
Notice biographique de l’auteure
Michèle Matteau est née et a étudié au Québec. Elle a vécu en France, en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse et, depuis 1985, elle habite Ottawa. Elle a mené de front une carrière d’enseignante et de journaliste. Romancière, dramaturge et poète, elle a publié plus d’une dizaine de livres dont plusieurs ont été couronnés de prix littéraires. Entre ici et là-bas est son premier roman pour adolescents.
Publication au sein de la collection 14/18
Entre ici et là-bas, 2019.
8 questions à Michèle Matteau
- Qu’est-ce qui t’a poussée à écrire sur une famille immigrante ?
Des expériences de deux ordres, d’abord celles me concernant : expérience de plusieurs déménagements vers des milieux différents dans mon enfance ; expérience d’une année d’études en Europe, puis des années vécues à Vancouver, à Halifax, puis à Ottawa. J’ai appris le déchirement intime et identitaire lié au déracinement, à l’usage d’une autre langue dans la vie quotidienne, etc. Ensuite, tout au long de ma vie, j’ai vécu de riches amitiés avec des gens venus d’ailleurs (Afrique, Europe, Amérique du Sud) ce qui m’a mise en contact avec les embûches de toutes sortes que rencontrent ceux qui veulent s’adapter à une nouvelle vie. Enfin, il y a 15 ans, l’écriture d’une pièce de théâtre (en duo avec Esther Beauchemin) sur le sujet de l’immigration, avec les recherches, les observations et les entrevues faites, ce qui était essentiel pour donner réalisme et profondeur à la pièce.
Ne pouvant toucher à toute la gamme des difficultés d’adaptation des émigrants, le sujet de la génération des enfants, qui n’ont pas fait partie de la décision de partir mais qui la vivent avec intensité, n’avait pu être qu’effleuré. Le sujet me fascinait, m’obsédait. Il a dormi. Quelque part en moi. Puis, s’est révélé… - Qu’a été ta plus grande expérience de choc culturel (et où) ?
On n’a pas toujours besoin d’aller au bout du monde pour vivre un choc culturel. Parfois, une circonstance inopinée sert de déclencheur et te place brusquement au centre d’une réalité autre. Cela peut se produire pas loin de ton lieu d’origine. Moi, ce fut un déménagement. J’avais 8 ans, lorsque mes parents ont acheté une petite maison dans un petit village à 50 km de Montréal. Même pays, même province, même langue. Mais je suis soudain devenue une étrangère, une personne dont il fallait se méfier, si possible fuir. Je n’étais pas née dans ce village. C’était mon tort. Au début des années 1950, l’éducation était souvent minimaliste, la télévision n’existait pas encore. On n’avait pas à venir de loin pour être perçu comme quelqu’un de différent, donc un peu dangereux. J’ai connu la révolte, la solitude et la tristesse qui s’installent en soi quand on te refuse, sans autre raison que la peur de l’autre, le droit d’être simplement toi-même. - Pourquoi avoir choisi une jeune femme pour raconter cette histoire ?
Dans ce roman, je m’adresse à des ados. Une période de vie difficile, turbulente, où les émotions tiennent une place centrale dans une société branchée sur l’instantané. Comme l’usage du « Je » permet au lecteur / à la lectrice de vivre directement ce que vivent les personnages, leurs difficultés, leurs dilemmes, leur désarroi comme leurs grandes joies, j’ai décidé que Ganaëlle s’épancherait « en direct » — par le biais de son journal — pour que les lecteurs adolescents puissent suivre son parcours, dans ses méandres sombres comme dans ses moments de joie. - Est-ce que, comme Ganaëlle, l’écriture te permet de comprendre les évènements et les personnes qui t’entourent ?
Selon moi, ce n’est pas l’écriture qui permet de comprendre les évènements et les personnes, mais bien l’exercice de réflexion qu’oblige l’écriture avant et pendant la rédaction du roman. Avant ? Par l’observation constante et attentive des êtres qui t’entourent, par des lectures et autres sources de recherches. Pendant ? Par osmose. Pour écrire un roman authentique, l’écrivaine doit selon moi — comme une comédienne — faire entrer le personnage en elle-même, le saisir de l’intérieur pour pouvoir l’animer avec vérité et nuances. Quand cela est fait avec ouverture, respect et sincérité, le personnage agit pour ainsi dire de lui-même selon sa propre logique, et parle avec vérité, etc. Il s’agit d’écouter sa voix. - Quelle est la chose la plus importante que tu as apprise lors l’écriture de ce roman ?
À écrire avec justesse pour le public visé. J’ai pratiqué la concision dans le récit, la simplicité dans les dialogues, la vraisemblance dans le vocabulaire, et j’ai renoué avec la candeur de ma propre adolescence. - Si on devait retenir un élément principal (idée, citation, message) à la fin de la lecture de ce roman, que serait-il ?
Il y a plusieurs cordes à l’arc de ce roman. D’abord : notre ressemblance fondamentale d’humain sous les apparences de la diversité. Un message essentiel à une époque de mondialisation et d’une pandémie planétaire. Ensuite, les terribles difficultés du processus d’adaptation à un pays d’accueil, même le plus ouvert, même quand on parle la même langue, même quand on a choisi de partir s’installer ailleurs (ce qui est loin d’être le cas de tous les émigrants). Et cela en dépit de la meilleure volonté des uns et des autres. L’immigration est un déracinement qui marque plusieurs générations.
Ce n’est pas facile d’être le bourgeon d’un arbre déraciné. - As-tu prévu d’autres projets d’écriture qui portent sur l’immigration ?
Pas pour l’instant, mais les thèmes et les personnages savent se faire discrètement rusés et insistants. Ils murissent en nous parfois longtemps. Cette histoire a pris plus d’une décennie avant de s’imposer à moi. Le personnage de Ganaëlle a surgi, un jour. J’étais prête à lui donner toute l’attention qu’il réclamait. Je l’ai suivi. Je ne regrette rien de cette aventure littéraire, mais surtout humaine. - Quelques conseils pour un jeune qui souhaite devenir écrivain ?
- Ne croyez pas à l’inspiration qui jaillit du néant une nuit d’insomnie, portée par les muses et le destin.
- N’oubliez pas qu’une œuvre est d’abord une idée, jaillie de soi, et de ce que l’on est devenu.
- Réfléchissez, expérimentez, lisez, observez et vivez avec intensité pour ouvrir la voie qui permettra aux idées de trouver la sortie et le momentum.
- Souvenez-vous – avec modestie et lucidité – que l’inspiration n’est qu’une étincelle. Il faut la saisir au vol, évidemment. C’est l’élan créateur qui donnera de l’énergie au créateur. Le reste, c’est du travail, du travail et du travail.